Affaire Bemba : la justice belge inflexibe. Jusqu’à quand ?
Jean-Pierre
Bemba n’a pas été libéré mercredi sous caution. Ses sympathisants
restent confiants. Des Congolais de Belgique ont manifesté mardi 27 mai
à la Porte de Namur pour exiger la libération du président du MLC.
Cinq
jours après l’arrestation de l’ancien vice-président de la République
et sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo, dans sa résidence à Rhode
Saint-Genèse, les détails de cette opération policière commencent à
filtrer.l faut dire d’emblée que depuis au mois six mois, «Jean-Pierre»
venait régulièrement en Belgique où réside sa famille de manière
permanente. Les cinq enfants Bemba suivent des cours comme élèves
réguliers dans un lycée catholique à Waterloo. Selon une source bien
informée, vendredi 23 mai, Bemba aurait reçu en sa résidence un ancien
ambassadeur à Bruxelles d’un pays d’Afrique australe. Une vieille
connaissance. L’homme a connu de l’ascension puisqu’il a été promu chef
de la diplomatie de son pays.
Samedi 24, Jean-Pierre a été
aperçu dans la matinée à Uccle faisant ses courses dans cette Belgique
où il se sent comme un poisson dans l’eau pour y avoir passé les plus
belles années de sa jeunesse. «JPB» a fait ses études secondaires et
universitaires dans le royaume. Dans la soirée de ce samedi, il était
prévu qu’il dîne avec son père Jeannot Bemba Saolona, l’ancien «patron
des patrons» zaïrois, dans un restaurant à Waterloo. Vers 20 h00, Papa
Bemba avait précédé avec un de ses fils et trois de ses petits-enfants.
Jean-Pierre et son épouse devaient rejoindre le groupe vers 20h30.
C’est à cette heure que la sonnette de la porte d’entrée de la
résidence retentit. Le sénateur prend le parlophone. Pour toute
réponse, il entend : «C’est la police judiciaire!». C’est Bemba Gombo
en personne qui va ouvrir la porte à ces visiteurs inattendus.
Combien
étaient-ils ? Selon nos informations, pas moins d’une quarantaine de
policiers a investi le lieu. Un groupe s’est répandu dans le jardin. Un
autre est entré dans la villa. «Nous devons perquisitionner», dit l’un
des policiers. A 21h00, Papa Bemba tente de joindre son fils au
téléphone. Sans succès. Pour cause, les «flics» ont saisi les
téléphones portables ainsi que l’ordinateur du «Chairman». Celui-ci est
empêché de faire venir son avocat. Une entorse au respect du droit de
la défense. En désespoir de cause, Bemba Saolona va dépêcher un de ses
fils pour s’enquérir de la situation. A 22h00, la perquisition est
terminée. «Vous devez nous suivre», lance un agent au maître du lieu.
Fin du premier acte. Pourquoi cette arrestation alors que Jean-Pierre
Bemba a pratiquement déplacé son lieu d’exil de Faro à Bruxelles ?
L’homme n’avait-il pas, au grand jour, de contacts réguliers avec
diverses personnalités du royaume ?
Selon une source, le
président du MLC devait rencontrer lundi 26 mai le ministre de la
Coopération au développement, le libéral francophone Charles Michel.
Dans son édition datée lundi 26 mai, le quotidien bruxellois «Le Soir»,
citant la directrice de la coopération internationale auprès du
procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Béatrice Le Frapper
du Hélin, dont l’arrogance n’a pas échappé à l’attention des
observateurs, écrit notamment : «Le risque était grand qu’il {Bemba}
parte vers un pays qui ne reconnaît pas la compétence de la Cour, ou
même au Congo, mais dans une région du pays mal contrôlée par le
gouvernement.» En clair, Bemba se préparait, selon cette responsable de
la CPI, à s’enfuir. «C’est une cabale», tonne un ami de la famille
avant d’ajouter :
«Bemba allait donc abandonner ses cinq enfants
qui vont à l’école à Waterloo?». Il ajoute: \"Pourquoi le président
Ange-Patassé et son chef d’état major de l’armée sont loin d’être dans
le collimateur de la CPI? L’actuel président François Bozizé, ancien
chef rebelle, n’a-t-il fait tuer personne pour s’emparer du pouvoir
avec l’aide de la France de Jacques Chirac?\"
Certains
sympathisants du MLC n’hésitent pas à suspecter le gouvernement du
Premier ministre Yves Leterme d’avoir «donné» Bemba à la CPI pour
«calmer» Joseph Kabila au moment où le torchon brûle entre Kinshasa et
Bruxelles. Une assertion plutôt difficile à étayer au moment où le
ministère belge de la Justice est dirigé par Jo Van Deurzen, l’ancien
président des démocrates chrétiens flamands (CD&V). L’image de
Kabila est au plus bas en Flandre. Lundi 26, des militants et
sympathisants du MLC ont manifesté à Mbandaka afin d’exiger la
libération du président du MLC, un natif de l’Equateur. Mardi 27, une
autre marche a eu lieu à Kinshasa et à Gemena. Dans la capitale, les
protestataires ont remis un mémorandum aux présidents des deux
Chambres. Le même mardi, de 16h00 à 18h00, des Congolais de Belgique
ont organisé un sit-in à la Porte de Namur. Aux cris de «Libérez, Bemba
!» ponctués de coups de siflets, certains manifestants lançaient des
paroles hostiles à Joseph Kabila ainsi qu’à Laurent Nkunda. «Comment
peut-on arrêter Bemba alors que Nkunda et Kabila sont libres de tout
mouvement», crie littéralement un habitant du quartier Matonge. «Bemba
avait mis un contingent militaire à la disposition du gouvernement de
l’ancien président Ange-Félix Patasse, rappelle un manifestant. Bemba
n’a jamais mis les pieds en Centrafrique ni participé aux opérations.
Comment expliquer que Patassé reste libre ?»
Lors de ce
sit-in, le représentant du MLC au Benelux, Jean-Jacques Mbungani nous a
confié que Bemba Gombo est «serein» et disposé à collaborer
«pleinement» avec la CPI. Selon lui, c’est l’avocat belge Pierre
Legros, ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles, qui assure sa
défense. «Tout est mis en œuvre pour obtenir la libération sous
caution», a souligné l’ancien consul général à Anvers qui n’a pas
manqué de «déplorer» l’action menée par la police judiciaire belge.
\"Il faut comprendre que Jean-Pierre Bemba n’est pas un bandit de grand
chemin. Le détenir au motif qu’il pourrait fuir n’a pas de sens. Il a
une maison à Bruxelles, des enfants qui sont scolarisés en Belgique\",
a déclaré à l’AFP François Muamba, le secrétaire général du MLC.
Certains observateurs craignent en effet que la CPI «dont les
magistrats se tournaient les pouces» tente de redorer son blason en
faisant preuve d’un excès de zèle dans l’affaire Bemba.
«(…), les
historiens diront que peut être que l’arrestation de Bemba marque le
véritable acte de naissance de la CPI\", écrivait le quotidien parisien
«Libération», daté mardi 27 mai. Selon ce journal, c’est la première
fois depuis sa création que cette juridiction s’attaque à un «si gros
poisson».
Elément positif. Il faut dire que l’arrestation de
Bemba semble avoir renforcé un certain esprit d’unité au sein des
forces politiques et sociales. Lors de la \"manif\" de la Porte de
Namur, on notait la présence non seulement des sympathisants du MLC
mais aussi de plusieurs représentants d’autres groupements. Tous, se
disent «en colère» face à cette «injustice» faite \"aux seuls citoyens
du Congo\". Henri Muke Disuishe, ancien président du groupe de pression
«Bana Congo» estime «pas du tout normal qu‘on arrête Jean-Pierre Bemba
pendant que Laurent Nkunda, Azarias Ruberwa et Joseph Kabila circulent
librement». Pour lui, il s’agit d’un «complot» pour décapiter les
forces progressistes comme en 1960. Un avis que partage Samson Cibayi
Mukuta, ancien président de «Bana Congo». «Cette arrestation est sans
objet quand on voit que Nkunda qui tue des enfants du Congo à l’Est
n’est nullement inquiété», déclare-t-il qui relève que «jusqu’ici la
CPI ne s’acharne que sur les Congolais». Pour lui, cette juridiction
internationale «doit» relaxer Bemba «immédiatement et sans conditions».
Dans le cas contraire, conclut-il, les forces politiques congolaises
vont s’organiser «d’une autre façon» pour obtenir cette libération.
Représentant des patriotes Maï Maï au Benelux, Michel Moto Muhima
regrette le traitement infligé à cet ancien candidat à la Présidence de
la République. Il s’étonne de ne pas voir l’ancien président
centrafricain Ange-Félix Patassé faire l’objet du même \"acharnement
judiciaire\" alors que «les troupes du MLC ont été mises à la
disposition des autorités » de Centrafrique.
On le sait,
depuis samedi, Jean-Pierre est détenu à la prison de Saint Gilles à
Bruxelles. La justice belge a décidé mercredi 28 mai de le maintenir en
détention provisoire. \"La décision de la chambre du conseil de
Bruxelles est tombée. Malheureusement, il ne sortira pas aujourd’hui.
La demande de libération pure et simple n’a pas été suivie\", a déclaré
à l’AFP l’avocat, Aimé Kilolo Musamba, après avoir été informé de la
décision par le greffe du tribunal. La défense entend interjeter appel.
Pour l’anecdote, dans son édition n°2472 du 25 mai 2008, l’hebdomadaire
parisien «Jeune Afrique» annonce que les autorités centrafricaines
s’apprêtent à «amnistier» l’ancien président Patassé au terme d’un
accord de paix, signé le 9 mai à Libreville, entre le gouvernement
centrafricain et l’Armée populaire pour la restauration de la
démocratie (APRD). Notons que la plainte déposée à la CPI met en cause
non seulement Jean-Pierre Bemba mais aussi un certain Ange-Félix
Patassé et se chefs militaires de l’époque.
B.A.W