Congo-Rwanda : la difficile recherche de la vérité Par Viyani
Dans un article
récent, nous évoquions combien la recherche de la vérité était plus que
laborieuse dans la tragédie qui touche, depuis tant d'années, les populations
du Rwanda et de l'est du Congo. Très brièvement voici les domaines qui y
étaient abordés. Dans un article
récent, nous évoquions combien
1. l'implication
des USA dans les événements qui touchent cette région depuis le début des
années '90 ;
2. l'absence
totale de volonté de la communauté internationale d'élucider l'attentat du 6
avril 1994 dans lequel périrent les présidents Habyarimana et Ntaryamira,
attentat qui fut le point de départ d'un holocauste de 6 à 8 millions d'êtres
humains ;
3. le bilan
désastreux du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui, au mépris
du mandat que lui a conféré le Conseil de Sécurité de l'ONU, se complait à
rendre une justice partiale et onéreuse ;
4. les enquêtes
indépendantes de la justice française et espagnole.
Comme faisant
écho aux préoccupations exprimées dans cet article, plusieurs événements
particuliers se sont produits dans les jours et les semaines qui suivirent sa
rédaction. Ces événements confirment la pertinence de notre analyse et de notre
préoccupation. Il nous a semblé dès lors opportun de commenter certains d'entre
eux et d'assurer de la sorte une actualisation de l'information.
Le manifeste du Professeur Peter Erlinder
Peter Erlinder
est professeur de Droit au Mitchell College of Law (USA). Il est également le
président de l'association des avocats de la défense auprès du TPIR et conseil
principal du Major Ntabakuze (procès Militaires I). Il vient de publier un
document qui constitue le fruit de plusieurs années d'expérience au sein de
cette Cour de justice internationale. En réalité, il s'agit surtout d'un
réquisitoire mettant en évidence les errements d'une institution qui s'est
fourvoyée dans un rôle qui n'était pas le sien en adoptant une attitude
partisane. Le contenu de ce document ne constitue pas vraiment une surprise
pour tous ceux qui suivent de près les travaux du TPIR. Pourtant le constat
accablant qu'il dresse ne semble préoccuper guère de monde, sauf ceux qui
restent indéfectiblement attachés aux idéaux universels de paix et de justice. Ce
qui est certainement le cas de RPP.
Voici, en
synthèse, certains des domaines abordés dans le document du Professeur
Erlinder.
1. La vision à sens unique du bureau du Procureur
Au regard des
connaissances acquises depuis 1994, quant à la matérialité et à l'importance
des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité perpétrés par l'armée
patriotique rwandaise (APR), il est indéniable que le bureau du Procureur, en
ne poursuivant qu'un seul des protagonistes du conflit rwandais, n'a pas rempli
le mandat lui conféré par le Conseil de Sécurité de l'ONU. Ce mandat prévoit de
poursuivre tous les crimes commis au Rwanda durant l'année 1994. Ceci amène le
Professeur Erlinder à formuler la conclusion partielle suivante : soit la
guerre du Rwanda est la seule dans l'histoire de l'humanité au cours de
laquelle une seule des parties s'est rendue coupable de crimes à caractère
international, soit le TPIR a été manipulé pour des raisons politiques. Laissons
tout simplement Carla Del Ponte, ancienne Procureur du TPIR, répondre à cette
double assertion : Il est injustifiable que notre travail soit sapé par la politique. Je trouve blessant de constater que
nous avons ridiculisé les principes de la justice internationale parce que
Kagame avait signé un accord bilatéral avec les USA. On ne peut être plus clair
sur la raison qui gangrène le travail du TPIR et qui tronque la justice qui
devrait y être rendue.
Pourtant, dès le
mois d'août 1994, le "Rapport Gersony" (seule investigation
indépendante qui a pu être menée au Rwanda depuis la prise de pouvoir par le
Front patriotique rwandais -FPR-) informe les plus hautes instances de l'ONU
que des massacres de masse sont commis par l'APR à l'encontre de la population
hutue. Aucune suite n'est donnée à ce rapport qui disparaît du reste durant
plusieurs années de la circulation. Par contre, en octobre 1994, une
intervention directe est menée auprès de Jean-Marie Vianney Ndagijimana
(ministre des Affaires étrangères du gouvernement FPR) par Kofi Annan (à
l'époque chef du Bureau des opérations de maintien de la paix) et par Brian
Atwood de l'Administration américaine, afin d'occulter les crimes commis par
l'APR. L'ancien ministre Ndagijimana a témoigné de ce fait devant le TPIR.
Figurent
également dans le document du Professeur Erlinder d'autres faits, tous
vérifiables, démontrant que tandis que de nombreuses autorités politiques et
militaires de l'ancien régime étaient incarcérées à Arusha, le bureau du
Procureur disposait de tous les éléments nécessaires pour poursuivre également
plusieurs responsables du FPR et de son bras armé l'APR.
2. Les USA, le Royaume-Uni et Paul Kagame ou la
causa nostra
La protection
sans condition accordée principalement par les USA au président Paul Kagame a
créé, au sein du TPIR, une impunité totale dont bénéficient, depuis plus de 13
ans, les autorités politiques et militaires du régime de Kigali. Il n'y a donc
pas lieu de s'étonner que lorsqu'en juillet 2003 Carla Del Ponte annonce que
son bureau dispose de preuves suffisantes pour poursuivre des membres du
gouvernement Kagame, le Secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, et Kofi
Annan (devenu Secrétaire Général des Nations Unies), tous deux faisant écho aux
exigences du président rwandais, expriment ouvertement leur sentiment que Carla
Del Ponte devrait être relevée de sa charge de Procureur du TPIR.
Toujours dans ce
contexte, le président Bush en personne s'est impliqué dans la question en
dépêchant, à Arusha, Pierre Prosper, son ambassadeur pour les crimes de guerre.
Sa mission était d'enjoindre à Carla Del Ponte d'abandonner les poursuites
contre les autorités du FPR. A la question de connaître la raison profonde de
cette démarche, la réponse fut on ne peut plus claire : les intérêts
stratégiques des USA en Afrique centrale.
Nous savons ce
qu'il est advenu de Carla Del Ponte. Quant à l'actuel Procureur du TPIR, Assan
Bubacar Jallow, sa position en la matière est très simple : son bureau étudie
la question et l'attentat du 6 avril 1994, selon lui, ne fait pas partie du
mandat du TPIR. Autant de clairvoyance devrait sans aucun doute lui éviter un
sort identique à celui de Carla Del Ponte.
3. La spoliation des richesses du Congo
Un autre domaine
abordé par Peter Erlinder concerne la mise à sac, par les forces
rwando-ougandaises, des richesses de l'est du Congo et son corollaire direct
que sont les millions de victimes congolaises causées par des années de guerre.
Cet aspect est traité au regard du rapport des experts de l'ONU qui en 2003 ont
clairement identifié Paul Kagame comme étant une des chevilles ouvrières du
chaos auquel la partie orientale du Congo est toujours confrontée.
Et de conclure
que la vision de "libérateurs démocratiques" qui a pu prévaloir en
1994, n'a strictement plus rien à voir avec la véritable nature du régime en
place à Kigali.
4. L'attentat du 6 avril 1994
En qualité de
conseil principal d'un des co-accusés du procès Militaires I, Peter Erlinder
dispose d'un accès direct à l'importante documentation traitant des événements
qui se sont succédé dans la région des Grands Lacs depuis 1990. Pour avoir
consacré pas mal de temps à la consultation de cette source d'information, sa
conclusion est catégorique : non seulement il y a eu volonté délibérée de
dissimuler la vérité sur la prétendue croisade de libération des forces du FPR
en 1994, mais en outre le TPIR possède aussi les éléments de preuve qui mettent
en cause la responsabilité directe de Paul Kagame dans l'assassinat des
présidents Habyarimana et Ntaryamira.
Une des
conséquences de ce dévoiement du TPIR est que la poursuite exclusive des
vaincus de 1994 rend illusoire toute possibilité de réconciliation des
Rwandais. Pareille attitude induit, en outre, les ferments d'une nouvelle
tragédie tout à fait prévisible. Il est pour le moins paradoxal que ce soit
justement une institution internationale chargée de rendre la justice qui
génère et exacerbe par son action un puissant sentiment d'injustice au sein de
la majorité de la population rwandaise.
Pour conclure son
document, le Professeur Erlinder souligne que si le TPIR a été conçu, à
l'origine, comme une institution indépendante, il restera cependant dans
l'histoire comme le Tribunal qui est devenu un instrument de rétorsion sous
influence directe des vainqueurs de la guerre de 1994, ainsi que des puissances
qui envers et contre tout assurent une impunité totale à celui qui, dans le
bimensuel indépendant rwandais "UMUCO" (publié au Rwanda), était
comparé il y a peu à Adolf Hitler.
Le massacre de Gakurazo ou la grosssière
incohérence du Procureur du TPIR
Nous évoquions
aussi dans notre article précédent le massacre, par des militaires de l'APR, de
plusieurs ecclésiastiques rwandais à Gakurazo, le 5 juin 1994. Quelques jours
après la diffusion de l'article, les autorités de Kigali annonçaient
l'arrestation de quatre présumés coupables de ce massacre. De façon assez
surprenante et sans vraiment prendre le temps de la réflexion, le Procureur du
TPIR se dessaisit de l'affaire au profit de la justice rwandaise. Etonnant à
plus d'un titre. D'une part, le Tribunal d'Arusha a préséance sur les justices
nationales pour les faits incriminés et d'autre part, cette façon de procéder
du Procureur est en totale contradiction avec sa propre stratégie d'accusation.
En effet, dans le procès Militaires II, l'ancien chef d'état-major des Forces
armées rwandaises, Augustin Bizimungu et l'ancien chef d'état-major de la
Gendarmerie, Augustin Ndindiliyimana, sont essentiellement poursuivis pour des exactions et des crimes commis par leurs
subordonnés. Comment expliquer que selon le camp, certains chefs soient rendus
responsables des méfaits commis par leurs subordonnés et d'autres pas ?
Last but not
least, en transférant à la justice rwandaise la compétence de juger les crimes
commis par des militaires de l'APR, c'est en quelque sorte comme si on avait
laissé aux nazis la faculté de juger les responsables du massacre
d'Oradour-sur-Glane en France ou de Bande en Belgique. En aucun cas, en saine
justice, on ne peut être juge et partie. Par ce transfert le Procureur infirme
également ce qu'il a toujours affirmé, à savoir que les autorités politiques et
militaires de l'ancien régime étaient les seules responsables de tous les
crimes commis au Rwanda en 1994.
Cependant,
personne n'est dupe. En laissant obligeamment, au régime en place à Kigali, la
possibilité de juger des "seconds couteaux", le Procureur permet
surtout aux véritables commanditaires du massacre de Gakurazo de ne devoir
rendre de comptes à personne. En la matière, chacun appréciera l'étique
professionnelle du Procureur à sa juste valeur. Les circonstances précises de
ces assassinats sont, en effet, connues du bureau du Procureur depuis 2003. Elles
sont à ce point détaillées que le doute n'est pas permis : ces religieux ont
été assassinés sur ordre de l'autorité supérieure. Les conditions de leur mise
à mort résultent d'une décision délibérée et non de représailles dont l'un ou
l'autre militaire, égaré par la douleur suite à l'élimination de sa famille, se
serait rendu coupable.
Ce faux pas
supplémentaire du Procureur, postérieur à la publication du manifeste du
professeur Erlinder, ne fait que corroborer la conclusion de ce dernier : le
Tribunal d'Arusha n'est plus que le relais d'intérêts partisans dont la seule
finalité est d'assurer la toute puissance d'une minorité totalitaire au service
d'une oligarchie capitaliste.
Le cas du général Karenzi Karake
On peut imaginer,
en toute logique, que la carrière fulgurante de cet officier de l'APR est
directement proportionnelle aux services rendus à la cause du FPR. En 1994, nous
avons bien connu l'intéressé. Il exerçait la fonction d'officier de liaison
auprès de l'état-major du général Dallaire, commandant de la composante
militaire de la MINUAR. Cette fonction lui conférait une totale liberté de
mouvement et lui permettait également d'être parfaitement au courant de tout ce
qui se discutait au sein de cette mission de paix. Nous savions aussi qu'il
appartenait aux services de renseignements de l'APR. Cette
"couverture" d'officier de liaison lui permettait surtout d'exercer
la coordination générale de l'action de l'ensemble des cellules underground
déployées à Kigali par le FPR. Certaines de ces cellules avaient pour mission
l'élimination physique de personnalités soit parce qu'elles étaient trop
critiques à l'égard du Front, soit tout simplement
pour déstabiliser la situation intérieure du pays. C'est ainsi que cet officier
est directement mis en cause dans les assassinats de deux hommes politiques
rwandais : Emmanuel Gapyisi et Félicien Gatabazi.
En août 2007, il
est désigné pour la fonction de commandant en second de la force de paix
africaine au Darfour (UNAMID). Suite à cette désignation, l'association de
défense des droits de l'homme "Human Rights Watch" exprima sa totale
désapprobation au Secrétaire général des Nations Unies et à celui de l'Union
Africaine, eu égard à la responsabilité directe de cet officier dans la mort de
nombreux civils congolais lors de l'invasion, en juin 2000, de la région de
Kisangani par les forces rwando-ougandaises.
La durée du
mandat de Karenzi Karake au sein de l'UNAMID étant de 12 mois, il est donc
question, depuis quelques semaines, de la prolongation de son mandat. Or,
rappelons-nous que début de cette année le juge espagnol Merelles l'a inculpé
pour sa responsabilité directe dans plusieurs massacres, crimes de guerre et
crimes perpétrés au Rwanda. Dès lors, de très nombreuses voix se sont élevées
pour qu'il n'y ait pas renouvellement de son mandat. C'est sans compter sur
l'appui inconditionnel des USA qui, par l'entremise de son sous-secrétaire
d'Etat pour les affaires africaines, Jendayi Frazer, ainsi que de son
ambassadeur auprès des Nations Unies, Zalmay Khalilzad, sont intervenus
directement auprès de Ban Ki-moon afin que le mandat de Karenzi soit bel et
bien renouvelé. Quant au gouvernement de Kigali, fidèle à sa tactique
habituelle de mettre en opposition ceux qui ont mis fin au génocide et ceux qui
en sont responsables, il menace tout simplement
de retirer son contingent de la force de paix en cas de non renouvellement de
ce mandat.
En quoi le cas du
général Karenzi Karake est-il particulier ? En fait, il est la parfaite
illustration de cette justice internationale qui pratique la politique des deux
poids deux mesures, selon que l'on soit dans le camp des vainqueurs ou celui
des vaincus. Un exemple concret qui ne souffre aucune contestation : celui du
général Léonidas Rusatira, ancien officier des forces armées gouvernementales
rwandaises ayant également servi dans l'APR, avant de prendre le chemin de
l'exil vers la Belgique. Au plus fort de la tourmente, en 1994, cet homme a
contribué à sauver de nombreuses vies humaines et nous pouvons attester de la
chose comme témoin direct. Cependant, quelques années plus tard, voilà qu'il se
retrouve sur une liste de génocidaires (liste à géométrie variable établie par
le régime de Kigali en fonction de ses besoins). Sans grande réflexion, Carla
Del Ponte signe un mandat d'arrêt que les autorités judiciaires belges mettent
à exécution. Le général Rusatira passera trois
mois dans une prison belge. Le temps pour deux experts reconnus par le TPIR
(les Professeurs Reyntjens et Guichaoua) de faire admettre par Carla Del Ponte
l'absence totale de fondement dans les accusations portées contre Rusatira. Suite
à quoi elle ne pourra que retirer son mandat d'arrêt. Inquiétante, n'est-ce
pas, cette justice qui délivre un blanc seing aux "libérateurs", leur
permettant de mettre à l'écart tout qui représente pour eux un éventuel
obstacle ? Cet exemple concret n'est malheureusement pas le seul du genre, loin
s'en faut.
Qu'est-ce qui
différencie les cas de Karenzi Karake, de Radovan Karadzic, du président
soudanais Omar Hassan al-Bashir ou encore de Jean-Pierre Bemba, voire de Paul
Kagame ? Ils font tous l'objet de graves accusations de crimes à caractère
international. Cependant ils sont loin d'être tous traités de la même façon. Lorsque
la communauté internationale parviendra à remédier à cette réalité inique,
peut-être que le mot "justice internationale" pourra s'écrire avec un
"J" majuscule. C'est en tout cas notre souhait.
Le Rwanda :
protectorat anglo-saxon ?
Décidément, ces
derniers mois, le Rwanda, tel un aimant, devient un must dans les destinations
de voyage de nombreuses personnalités américaines et britanniques.
Le premier des
visiteurs de marque de cette année 2008 fut George W. Bush en personne. Ce qui
a été retenu par la presse de son passage est l'allocution prononcée au
mémorial du génocide de Gisozi, près de Kigali. En réalité, l'objectif de ce
bref séjour du président des Etats-Unis était de finaliser les modalités de
l'accord qui feront du Rwanda la plaque tournante de la présence américaine en
Afrique. Les moyens électroniques qui vont être déployés dans la région des
volcans vont permettre d'assurer l'écoute de toutes les communications
radiophoniques, téléphoniques et autres sur le continent africain. De plus, une
vaste zone à caractère militaire serait consentie aux Américains dans la région
du Bugesera. La finalité exacte de cette "zone réservée" reste encore
à éclaircir. L'intérêt des Etats-Unis pour le Rwanda, dans ce domaine
particulier, est loin d'être récent. Pareille demande avait déjà été formulée
au président Habyarimana qui n' y avait
pas réservé la suite espérée.
Si l'actuel
candidat républicain à la Maison blanche, John Mc Cain, ne s'est pas encore
montré au Rwanda, par contre son épouse y a fait une visite éclair et tenue
(presque) secrète. Elle y a peut-être rencontré Chery et Tony Blair qui eux
sont des habitués du coin. En effet, après avoir laissé le 10 Downing street à
son successeur, Tony Blair est devenu le conseiller spécial de Paul Kagame.
Tout récemment
c'est Bill Clinton qui a présenté sa prochaine tournée en Afrique qui l'amènera
une fois de plus au Rwanda. On se rappelle les excuses qu'il a présentées au
peuple rwandais lors d'une visite précédente. Ce peuple ne pourra cependant
jamais oublier qu'il était président des Etats-Unis en 1994 et que ses
représentants ont mené un combat retardateur pugnace de plusieurs semaines afin
que le mot "génocide" ne soit pas prononcé dans l'hémicycle du
Conseil de Sécurité des Nations Unies.
De même que ces
visites répétées de personnalités anglophones à Kigali ne sont pas le fait du
hasard, de même le sort qui s'acharne depuis tant d'années sur l'Afrique
centrale n'a strictement rien à voir avec la fatalité. Les deux sont la
conséquence directe de la convoitise suscitée par les immenses richesses du
sous-sol de cette région. Les populations rwandaises et congolaises prennent
sans doute petit à petit pleine conscience de leur total abandon par ce monde
dit "civilisé" qui d'un côté prêche la "bonne gouvernance"
et de l'autre n'hésite pas à semer le chaos pour mieux spolier un patrimoine
qui ne lui appartient pas.
La commission rwandaise sur le rôle de la France
Le dernier des
événements en date concerne la publication, en ce début août 2008, du rapport
de la commission d'enquête rwandaise sur le rôle de la France avant, pendant et
après le génocide. Rappelons que la création de cette commission, début 2006,
constituait surtout la réponse du berger à la bergère suite à l'enquête menée
par le juge Bruguière sur l'attentat du 6 avril 1994.
Laissons aux
experts l'analyse du travail de cette commission. Mentionnons cependant un
point qui nous semble pour le moins étrange. Alors que l'enquête menée par le
juge Bruguière détaille très minutieusement les rouages de l'attentat sur
l'avion présidentiel, paradoxalement la commission d'enquête présidée par Jean
de Dieu Mucyo ne pipe mot de cet attentat. Ce serait pourtant l'occasion rêvée
pour le régime de Kigali d'apporter tous les éléments nécessaires pour non
seulement contrer les accusations du juge français, mais surtout pour lever ce
voile de suspicion qui demeure sur cet acte qui déclencha l'apocalypse.
Inutile de
tourner autour du pot. Si aucune explication n'est donnée de la part des
commissaires, c'est que ce terrain est beaucoup trop glissant.. Ce silence, en
réalité, équivaut à la plus belle des reconnaissances du bien fondé des
conclusions formulées par le juge Bruguière sur la responsabilité directe de
Paul Kagame dans cet attentat.
Cette commission
est un exemple de plus de cette technique d'accusation en miroir dans laquelle
les autorités de Kigali excellent depuis de très nombreuses années. C'est sans
aucun doute une étape supplémentaire dans cette volonté de s'affranchir de
toute contrainte internationale en se dotant des outils de compétence
universelle. A cet effet, le terrain se prépare depuis de longs mois. Le
président rwandais met à profit chacun de ses déplacements à l'étranger pour
fustiger l'arrogance de la justice occidentale qui se réserve le droit
d'inculper des ressortissants de "nations faibles". Allusion directe
aux dossiers d'inculpation des juges français et espagnol. Soulignons quand
même que l'on peut difficilement assimiler le Rwanda à une "nation
faible" au regard des effectifs pléthoriques et des équipements
impressionnants de son armée.
Mais cette
volonté de disposer des outils juridiques de compétence universelle recèle
encore d'autres finalités que celle de pouvoir rendre la pareille à certains
pays qui ont l'outrecuidance de demander des comptes au libérateur du Rwanda. En
effet, plus de quatorze années après les faits, il devient de plus en plus
difficile, comme ce fut le cas par le passé, d'ajouter à l'infini sur la liste
des génocidaires ceux dont on veut se débarrasser. Cette technique a vécu et
doit être remplacée par une autre. La compétence universelle offrira au régime
de Kigali une excellente opportunité permanente de poursuivre, urbi et orbi,
toute personne considérée comme représentant un obstacle potentiel à
l'hégémonie de l'actuelle nomenklatura rwandaise. Ce n'est pas tout, car cette
même compétence universelle pourrait tout aussi bien être utilisée contre tous
ceux qui cherchent la vérité, ceux qui contestent cette tyrannie intellectuelle
imposée par ceux qui délibérément ont
choisi les armes pour s'emparer du pouvoir au Rwanda. En d'autres mots, nombre
de ceux que l'on classe fort opportunément et de façon simpliste dans la
catégorie des révisionnistes et des négationnistes.
Le danger est
réel. Mais plus fondamentalement c'est la manifestation de la Justice et de la
Vérité qui risque d'en pâtir. Tous les experts de l'Afrique centrale sont à
présent d'accord sur ce point : la véritable histoire de cette région, de 1990
à nos jours, doit encore être écrite. Carla Del Ponte, elle-même, reconnaissait
que s'il s'avérait que le FPR est responsable de l'attentat d'avril 1994, alors
l'histoire du génocide devait être entièrement réécrite.
Conclusions
Le Conseil de
Sécurité des Nations Unies, par sa Résolution 1824, vient de prolonger d'un an
le mandat des juges du TPIR. En l'état actuel des choses, cette prolongation ne
modifiera sans doute guère le mode de fonctionnement de ce Tribunal. Nous
pensons qu'il est surtout question d'apurer l'arriéré judiciaire et de trouver
une solution acceptable dans la problématique du transfert de certains dossiers
à des juridictions nationales, mais pas à celle du Rwanda qui suscite
l'opposition des juges du TPIR eux-mêmes.
Toutefois, quand
on sait que plus d'un an et demi après la fin du procès Militaires I, les juges
de la Chambre compétente n'ont toujours pas rendu leur arrêt (pareille
situation est à peine imaginable) on pourrait dès lors imaginer que le TPIR
n'est pas près de mettre la clé sous le paillasson. Vu le nombre d'affaires
dont l'arrêt doit encore être rendu.
Aussi
pensons-nous que cette prolongation représente, peut-être, une opportunité
inespérée pour tenter d'infléchir le cours des choses. Encore faut-il que ceux
qui sont en position d'agir se mobilisent pour la cause de la Justice et de la
Vérité.
La différence
majeure entre 1994 et 2008 est que si les responsabilités réelles étaient à l’époque
sans doute difficiles à cerner, actuellement plus personne ne peut invoquer le
fait qu’il ne sait pas ou qu’il ne peut pas savoir. Une chose est certaine, si
les responsables politiques occidentaux n’expriment pas leur volonté sans
équivoque de connaître toute la vérité sur la véritable nature des événements
qui continuent à ensanglanter la région des Grands Lacs, alors nous disons
qu'ils se rendent complices du prochain génocide qui immanquablement se
produira dans cette région d’Afrique. Car, si en Occident on ne veut pas
savoir, les Rwandais et les Congolais eux, par contre, savent très bien qui
sont les véritables responsables de leur propre calvaire. Ce jour-là, il sera
très malvenu d’utiliser une fois de plus l’expression : « Ah ! Je ne savais pas
».
Luc Marchal
Ancien commandant
Secteur Kigali-MINUAR